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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/148

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chacun de vous, et pas davantage, voilà le vœu auquel mon esprit s’étoit arrêté. Prenez donc neuf de mes chameaux ; et chargez celui qui me reste de la part qui me revient. C’est tout ce que j’exige de vous. » Ces paroles achevées, je m’associai gaiement à la réfection commune, et je m’endormis ensuite avec tranquillité, en rêvant aux trésors inépuisables dont je venois de m’assurer la conquête.

Le lendemain, et plusieurs jours encore, nous continuâmes à marcher sans qu’il nous arrivât rien de notable. Seulement, de soleil en soleil, la caravane devenoit plus pensive et plus triste, et il étoit aisé de discerner dans chacun de nos chameliers des mouvements alternatifs de jalousie et d’inquiétude. Il fut même question de quelques vols qui amenèrent des rixes sanglantes parmi ces aventuriers, dont le moindre avoit de quoi acheter une province. D’un autre côté, les provisions étoient fort diminuées, et de toutes les rations la mienne étoit devenue la plus parcimonieuse. Dix fois j’avois regretté que le génie ne m’eût pas accordé, au lieu du talisman qui annonce le gisement des trésors, celui qui m’auroit fait deviner quelque silo inconnu ou seulement quelque racine nourrissante. Et pourtant nous nous encouragions mutuellement à patienter, parce que notre route s’avançoit. Des indices connus de tous ceux qui pratiquent le désert nous faisoient espérer d’arriver incessamment à un bourg ou à un village, et de nous y établir en souverains. Partout la souveraineté appartient à l’or.

Un jour enfin, livré à mes alarmes habituelles, j’étois à peine parvenu à clore mes paupières, au moment où l’aube commençoit à blanchir les horizons du désert, quand je fus tout à coup réveillé par un coup de yatagan qui faillit me plonger dans l’éternel sommeil. Je n’eus que la force d’entr’ouvrir un œil mourant pour m’assurer près de moi que mon chameau n’y étoit plus,