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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/149

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et pour porter à mon talisman une main défaillante, qui le trouva encore. Un cri qui m’auroit perdu, manqua heureusement à ma douleur, et je retombai soudain dans un profond évanouissement, que mes assassins prirent pour la mort. Un grand nombre d’heures s’écoulèrent depuis, car le soleil étoit au milieu de son cours quand je revis la lumière.

J’étois couché sur le bord d’un ruisseau où l’on m’avoit transporté pour laver ma blessure. Un vieillard vénérable, dont la barbe blanche descendoit jusqu’à la ceinture, et qui achevoit, penché sur moi, les soins de mon pansement, paroissoit épier dans mes regards, avec une sollicitude paternelle, quelque foible rayon de vie. « Divin prophète ! m’écriai-je, est-ce vous qui êtes descendu du haut des cieux que vous habitez, pour rappeler à l’existence l’infortuné Douban, ou plutôt l’ange de la mort m’a-t-il déjà transporté sur ses ailes rapides à votre céleste séjour ?

« Je ne suis point Mahomet, répondit-il en souriant ; je suis le scheick Abou-Bedil, que la prévoyance ineffable du Tout-Puissant a conduit dans ce lieu pour te sauver, et qui a réussi avec l’assistance de sa volonté, par le secours de quelques simples dont la nature est prodigue. Rassure-toi donc, mon fils, car ta blessure ne présente plus de dangers, et tu t’en remettras facilement dans ma maison, où tu seras traité avec toute la sollicitude que méritent ton âge et ton malheur. Elle n’est pas éloignée d’ici, et cette litière de feuillage, que j’ai fait préparer pour toi, t’en adoucira le chemin. »

Nous y arrivâmes effectivement en quelques heures, et, avant le coucher du soleil, je reposois sur les nattes d’Abou-Bedil.

Ce sage vieillard avoit été la lumière de l’Orient. Longtemps conseiller des rois, il avoit attaché le souvenir de son nom à celui d’une époque de paix et de prospérité qui vivra éternellement dans la mémoire des