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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/164

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insurrection populaire, et je me trouvai heureux de m’échapper de la ville, où j’avois déployé tant de faste, à la faveur d’un incendie.

Ma première pensée fut de me rendre au modeste manoir d’Abou-Bedil, non pas que j’espérasse le trouver encore vivant, mais parce que je me flattois qu’il n’avoit pas révélé à ses héritiers le trésor de ses jardins. Hélas ! je ne parvins pas sans de longues recherches à en connoître la place. Les ouvriers que j’avois employés s’étoient souvenus de ce mystère ; peu de temps après mon départ, ils avoient égorgé le vieux scheick et sa famille ; la terre, bouleversée au loin, leur avoit rendu son funeste dépôt ; il n’y restoit pas même une des plantes nourricières que ses mains avoient cultivées, et qui auroient pu soulager ma faim. Ainsi j’avois porté dans cette maison, pour prix d’une si douce hospitalité, les plus effroyables malheurs ; et ces horribles calamités, dont le tableau me suivoit partout où je portois mes pas, c’étoit le talisman de l’or qui les avoit produites !

Il fallut donc me résigner à ma destinée, et tendre la main de ville en ville à la pieuse charité des passants, plus souvent secouru par les pauvres que par les heureux de la terre, dont la prospérité dessèche le cœur comme elle avoit desséché le mien ; car mon aveugle opulence n’a pas laissé dans sa courte durée, je l’avoue en rougissant de honte et d’indignation, la trace d’un bienfait de peu de valeur, dont la reconnoissance puisse aujourd’hui me payer l’intérêt. Vingt ans se sont écoulés depuis, et c’est dans cet état d’opprobre que je suis arrivé ce matin à Bagdad, attiré, seigneur, par la renommée de votre inépuisable compassion pour les misérables, afin de mendier un foible secours à votre porte, où j’ai trouvé ces deux vieillards. »

Cette histoire est celle de Douban le riche, qui avoit eu à sa disposition tous les trésors inconnus, qui s’étoit proposé, à vingt ans, d’acheter tous les royaumes et