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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/189

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souverain me renvoya en prison, pour y finir mes jours, avec défense expresse de guérir qui que ce fût, sous peine du dernier supplice. J’y passai trente ans à souhaiter la mort ; mais je ne m’étois jamais mieux porté, et je ne reçus pas une seule visite des médecins. C’est la seule marque de vengeance dont ils m’aient fait grâce.

Au bout de trente ans, le jeune roi d’Égypte étoit devenu vieux. Tourmenté d’un mal inconnu qui déficit toutes les prescriptions de la science, et, pourvu d’une vitalité qui résistoit à tous les remèdes, il se rappela confusément les cures miraculeuses du médecin persan qui avoit fait si grand bruit au commencement de son règne. Il ordonna que je lui fusse amené, sous la condition formelle de payer de ma tête le mauvais succès d’une ordonnance inutile. J’acceptai avec empressement cette terrible alternative, quoiqu’il ne me parût pas bien démontré que mon amulette eût conservé si longtemps sa vertu. Il y a si peu de facultés données à l’homme qui ne perdent pas, en trente ans, une partie de leurs propriétés et de leur énergie, si peu de réputations scientifiques qui survivent à un quart de siècle !

Je ne manquai pas sur ma route d’occasions de me rassurer. À peine eus-je passé le seuil de mon cachot, que je trouvai la rue encombrée de malades, les uns errant comme des spectres échappés au tombeau, et encore à demi voilés de leurs linceuls : les autres, appuyés sur le bras de leurs amis et de leurs parents ; ceux-ci gisant sur la paille, et tendant vers moi des bras suppliants ; ceux-là portés dans des litières magnifiques, et faisant joncher le chemin que je parcourais de bourses d’or et de bijoux, par les mains de leurs esclaves. D’un regard, je connoissois tous les maux ; je les guérissois d’une parole, et j’arrivai au palais, escorté d’un peuple de moribonds ressuscités qui remplissoient l’air des éclats de leur joie et de leur reconnoissance. Je m’approchai, avec la sécurité calme et fière d’un