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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/208

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Aujourd’hui même, la perception du sommeil vibre encore assez longtemps dans les facultés de l’homme éveillé pour que nous puissions comprendre sans effort comment elle a dû se prolonger autrefois dans l’homme primitif, qui n’étoit pas éclairé du flambeau des sciences et qui vivoit presque entièrement par son imagination. Il n’y a pas longtemps qu’un des philosophes les plus ingénieux et les plus profonds de notre époque me racontoit, à ce sujet, qu’ayant rêvé plusieurs nuits de suite, dans sa jeunesse, qu’il avoit acquis la merveilleuse propriété de se soutenir et de se mouvoir dans l’air, il ne put jamais se désabuser de cette impression sans en faire l’essai au passage d’un ruisseau ou d’un fossé. À la place du savant qui a studieusement approfondi les secrets de l’intelligence, et qui subit toutefois cette préoccupation avec tant d’abandon, placez le pasteur des solitudes qui ne juge de la réalité des choses que par des sensations également frappantes dont il n’a jamais fait le départ, et qui a cependant remarqué en lui deux existences diverses, dont l’une s’écoule en faits matériels, sans poésie et sans grandeur ; dont l’autre est

    enflammer Troie. La mère de saint Dominique, à son tour, — et nous sommes loin d’Alexandre, — rêve qu’elle est enceinte d’un chien qui lance des flammes par la gueule. Les hagiographes interprètent le songe en disant que les aboiements du chien représentent la prédication du saint, et la flamme l’ardeur de son zèle. Dana le monde antique, comme dans le monde moderne, le merveilleux déborde sans cesse sur l’histoire. La naissance des grands hommes ou la mort des grands saints est annoncée par des songes. L’explication des songes, à Athènes comme à Paris, est une profession lucrative, et le neveu de Lysimaque, au quatrième siècle avant notre ère, amasse, en révélant leurs mystères, une fortune considérable, comme mademoiselle Lenormand au dix-neuvième siècle. C’est toute une science, l’oneirocritie. Elle a ses initiés et ses livres. Le plus ancien de ces livres est celui d’Artémidor, qui vivoit sous Antonin le Pieux. Pour les personnes qui seroient curieuses d’étudier la fantastique histoire de ces hallucinations, nous indiquerons au tome XXXVIII des Mémoires de l’Académie des Inscriptions, un savant travail intitulé : Mémoire sur la superstition des peuples à l’égard des songes. C’est en quelque sorte le complément érudit de l’intéressante fantaisie de Nodier. (Note de l’éditeur.)