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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/209

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emportée hors du monde positif dans des extases sublimes. Il en conclura nécessairement qu’il contient deux êtres infiniment disproportionnés l’un à l’autre, dont les attributions sont séparées par le réveil. Il s’élancera de cette seule idée à la théorie de l’âme ; il pénétrera, sur la foi de ce guide que le sommeil lui donne, dans les régions les plus reculées du monde spirituel ; et, s’il a de l’enthousiasme et du génie, vous aurez un prophète et peut-être un dieu.

Comme il n’y a rien de plus difficile et de plus périlleux à dire que ce qui n’a jamais été dit, je n’affirme pas, sans trembler, ce que je crois fermement : c’est que toutes les religions, à l’exception de celle dont la vérité ne peut pas être mise en doute, nous ont été enseignées par le sommeil.

Les narrateurs des choses insolites et merveilleuses ont conservé à la postérité le nom de certains hommes qui n’avoient jamais rêvé. N’est-il pas remarquable que ces hommes fussent des athées, et que cette liste qui finit à Lalande commence à Protagoras ?

Nous redescendrons de ce principe à des applications qui ne sont pas moins nouvelles ; mais ici, tous les éléments de la discussion deviendront assez sensibles pour la faire sortir de la catégorie des propositions vraies ou vraisemblables, qui n’ont pas eu le bonheur d’obtenir l’approbation de l’école ou le sauf-conduit des académies. C’est ce que l’on appelle en France des paradoxes.

Le somnambulisme naturel, la somniloquie spontanée sont des phénomènes du sommeil, aussi incontestés que le cauchemar. Personne n’a jamais douté qu’il y eût des hommes qui pouvoient parler leur pensée en dormant, qui pouvoient en dormant l’exécuter, et qui en venoient à bout, grâce à l’état de puissance où le sommeil fait parvenir quelquefois les organisations les plus communes, par des moyens qui auroient échappé à la méditation du philosophe, et avec une facilité qui auroit déjoué la