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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/225

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mêloient aussi avec les siens d’une manière horrible, qui faisoit dresser les cheveux sur le front des voyageurs. L’ouragan, qui grossissoit de minute en minute, se traînoit en gémissements comme la voix d’un enfant qui pleure ou d’un vieillard blessé à mort qui appelle du secours ; et l’on ne savoit d’où provenoient le plus ces affreuses lamentations, des hauteurs de la nue ou des échos du précipice, car elles rouloient avec elle des plaintes parties des forêts, des mugissements venus des étables, l’aigre criaillement des feuilles sèches fouettées en tourbillons par le vent, et l’éclat des arbres morts que fracassoit la tempête ; cela étoit épouvantable à entendre.

La combe noire et creuse dont je parlois tout à l’heure opposoit à ceci, sur un de ses points, un contraste frappant, une clarté fixe, mais large et flamboyante, qui s’épanouissoit d’en bas comme le panache d’un volcan ; et, de la porte ouverte à deux battants qui lui donnoit passage, montoient des bouffées de rires capables d’égayer le désespoir. C’est que c’étoit la forge de Toussaint Oudard, le maréchal-ferrant, qui étoit parvenu à l’âge de quarante ans sans se connoître un seul ennemi, et qui solennisoit joyeusement l’anniversaire de sa fête à la lueur de ses fourneaux et au milieu de ses ouvriers, étourdis par le plaisir et par le vin.

Ce n’est pas que Toussaint eût jamais violé la solennité des saints jours pour armer la sole d’un cheval ou pour ferrer une roue, à moins qu’il n’y fût contraint par quelques accidents inopinés survenus à des étrangers en voyage, et alors il ne tiroit aucun salaire de son labeur ; mais sa forge ne cessoit d’ardre en aucun temps dans les fêtes les plus scrupuleusement fériées, parce qu’elle servoit de fanal, surtout pendant la mauvaise saison, aux pauvres passants égarés, qui y étoient toujours les bienvenus ; et quand on vouloit indiquer parmi les paysans de la combe la maison de Toussaint Oudard,