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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/226

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fils de Tiphaine, on l’appeloit communément l’auberge de la Charité.

Toussaint entra tout à coup dans une grande cuisine contiguë à la forge, où quelques pièces de gibier et de boucherie achevoient de rôtir devant un feu clair et bien nourri qui aurait fait envie à la forge même, sous l’ample manteau d’une de ces cheminées du vieux temps que l’aisance sembloit avoir inventées pour l’hospitalité.

— Voilà qui va bien, dit-il en s’adressant gaiement à une vieille femme qui étoit assise sur un pliant à l’angle de la cheminée, et dont le visage grave et doux brilloit, vivement éclairé par une lampe de cuivre à trois becs, posée sur une console de plâtre historié, mais fort noircie par la fumée et par le temps ; il m’est avis que tous les petits sont couchés et que le joli troupeau des jeunes filles de la combe vous fait aussi bonne compagnie qu’à l’ordinaire pour la veillée qui commence. Dieu me garde de la laisser troubler par les éclats de mes garçons que le bruit de l’enclume a depuis longtemps assourdis, et qui ne sauroient s’entendre entre eux s’ils ne hurlent comme des loups. Je viens de les dépêcher dans ma chambre à coucher d’où leurs cris n’arriveront plus jusqu’à vous, et où vous aurez la bonté, ma mère, de nous envoyer le reste de ces béatilles par une de vos servantes, la plus mûre et la plus rechignée qu’il y ait, si faire se peut, et pour cause. Conservez cependant quelque bon lopin pour les pauvres diables que le mauvais temps pourrait nous amener ; et quant à vos gentes amies, tâchez de les bien régaler à leur gré de châtaignes dorées sous la braise, en les arrosant largement de vin blanc doux, frais sorti de la cuvée, et qui mousse comme un charme. Quand il n’y en aura plus, il y en aura encore… Je ne vous laisserois pas toutes ces peines, mère bien-aimée, continua Toussaint en essuyant une larme et en embrassant la vieille, si ma chère Scholastique vivait encore ; mais Dieu a permis qu’il ne restât