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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/267

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« Est-ce que cela me regarde ? Est-ce que je me mêle de ce que font les autres ?… »

Je passai en justice, en effet, dès le lendemain, comme Nicolas me l’avoit annoncé, et je fus acquitté à la majorité de neuf voix sur douze. On ne sera peut-être pas étonné si j’ajoute naïvement que jamais résultat avantageux d’un scrutin ne m’a été plus agréable.

La première chose qui m’occupa quand je me trouvai libre, ce fut l’histoire de Lidivine et de Pierre. Un vieux prêtre, saintement téméraire, s’étoit réfugié dans leur famille, en 1793, pour porter de là des exhortations et des espérances à son troupeau de chrétiens sans pasteur et sans autels. Il fut surpris en officiant, et tendit ses bras aux fers, comme un martyr des premiers âges de l’Église. Son petit peuple du hameau le défendit malgré lui, avec cette ardeur de dévouement que la religion inspire toujours quand elle est persécutée. Ils étoient quinze. Treize moururent sur l’échafaud du confesseur, après avoir reçu sa dernière bénédiction. La grand’mère avoit plus de soixante-dix ans, le petit-fils en avoit moins de seize ; et, selon la juste expression du guichetier, l’un des deux avoit plus d’âge qu’il n’en falloit, l’autre n’avoit pas encore l’âge pour être guillotiné. C’est à cause de cela que Lidivine et Pierre étoient en prison.

Dans ces entrefaites, Bonaparte étoit revenu, Bonaparte, ce géant de la civilisation, qui la rapportoit toute faite, et qui ne put pas la raffermir sur des bases éternelles, parce que Dieu n’en vouloit plus. La révision de ces procédures exceptionnelles d’une législation d’anthropophages étoit devenue facile. Un grand nombre d’honnêtes gens s’intéressèrent au sort de Pierre et de Lidivine. Il n’y a rien de si commun que de trouver des cœurs tout disposés à la réparation du mal quand il n’y a plus de péril à l’empêcher. Je ne parlois pas de ces efforts à mes amis de prison que je voyois souvent, parce