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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/30

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sur l’effet de ses pleurs auprès de messieurs les juges de la Tournelle. Trop peu de temps s’étoit écoulé depuis qu’elle l’avoit essayé en vain sur messieurs les juges du présidial. Elle comptoit sur un juge qui réforme, quand il lui plaît, les jugements de la terre, et en qui les malheureux n’ont jamais placé inutilement leur espérance ; mais la pieuse femme ne se croyoit pas digne de communiquer avec Dieu sans intermédiaire. Elle venoit donc se placer au couvent des Bernardines de Dijon, sous la protection des prières de la communauté, et particulièrement de sa noble parente, la mère Jeanne de Saint-Joseph, qui avoit quitté le nom de Courcelle de Pourlans pour devenir abbesse du saint monastère. Ce fut certainement un spectacle sublime et fait pour attirer les bénédictions du Seigneur, si nos vaines douleurs parviennent jamais jusqu’à lui, que celui de ces vierges prosternées sur les pavés du chœur, qui imploroient sa pitié, avec des gémissements et des larmes, en faveur d’une fille mère que la loi avoit proclamée coupable d’assassinat sur son enfant, et obligées d’articuler dans leurs pensées, pour désarmer les vengeances du ciel, les syllabes presque blasphématoires qui désignent je ne sais quels crimes inconnus. Madame Gillet n’étoit pas à genoux comme les autres, mais étendue la face contre terre, et on auroit cru qu’elle étoit morte si elle n’avoit sangloté.

Il faut le dire toutefois, car on ne l’imagineroit pas, il manqua quelque chose à la solennité de cette imposante cérémonie. Une des religieuses n’y avoit point paru, la sœur Françoise du Saint-Esprit, qui s’étoit appelée auparavant dans le monde madame de Longueval, et que ses infirmités empêchoient depuis longues années de descendre au sanctuaire. Elle avoit alors plus de quatre-vingt-douze ans, s’il faut en croire les biographies hagiologiques, qui la font mourir en 1633, plus que centenaire, en odeur de sainteté. La sœur Françoise