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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/313

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nésie. Vous reconnoissez l’homme dont je vous parle, et vous savez que je ne crois pas sa divinité plus légitime que celle d’aucun des innombrables dieux d’Alexandre Sévère ; mais ce n’est pas ma faute ; et quand nous ferons un dieu à la majorité, comme un académicien de Berlin, sous le bon plaisir du roi de Prusse, il faudra bien se garder d’en prendre un autre que le charpentier de Bethléem.

— Vendredi ! continua La Mettrie avec exaltation, vendredi jamais exécrable, où le généreux patron de l’humanité souffrante a rendu son dernier soupir dans l’opprobre et dans les tortures ! Vendredi fatal, où le soleil aurait dû réellement se voiler de ténèbres, comme le racontent les historiens ecclésiastiques, s’il avoit été autre chose qu’un soleil, c’est-à-dire une masse inorganique, insensible aux douleurs de notre matière organique et sensible ! Vendredi ! qu’il faudrait effacer du nombre des jours, suivant l’expression de Job, sauf à doubler un autre jour de la semaine, s’il y en avoit un qui fût pur de crimes ! Oh ! qu’il meure éternellement le vendredi où le juste est mort, emportant avec lui dans son suaire toutes les vertus de l’espèce et toutes ses libertés ! — Ne pensez-vous pas d’ailleurs, mon ami, que ce soit assez de la conviction amère et profonde de cent millions de familles qui gémissent tous les vendredis sur la mort du Christ, depuis Berlin jusqu’au Japon, pour exciter dans une âme d’homme quelque triste sympathie ? Vous n’oseriez sourire dans la famille affligée où la petite fille pleure la perte de sa poupée, et la grand’maman la mort de son sapajou, et vous seriez sans compassion pour les regrets de cette famille immense qui pleurait hier sur la mort d’un Dieu ! Quant à moi, pour prendre part aux angoisses de tant d’âmes navrées, je n’examine pas si elles sont fondées en raison, mais si elles sont vives et sincères, et voilà pourquoi je n’entreprends rien le vendredi.

J’écoutois émerveillé cette déclamation de La Mettrie,