Aller au contenu

Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mide à celle de l’inquiétude et de l’effroi. Cependant il parut réfléchir.

— La maison de M. Dubourg ? répondit-il enfin, comme s’il avoit cherché à recueillir quelques souvenirs très-confus ; Dubourg ? M. Dubourg ? la maison de M. Dubourg ?… Ah ! ah ! continua-t-il en riant, il y avoit autrefois une belle maison de ce nom-là, que j’ai habitée quand j’étois jeune. C’est là que j’ai vu pour la première fois des anges qui avoient pris la figure de femmes, des fleurs de toutes les saisons, et des oiseaux de tous les ramages… Mais ce n’étoit pas dans ce monde-ci.

Ensuite il laissa tomber sa tête sur ses mains, et il oublia que j’étois là.

Je compris alors qu’il étoit idiot ou innocent, suivant le langage du pays. Merveilleuse société que la nôtre, où ces deux êtres d’élection, celui qui vit inoffensif envers tous, et celui qui vit solitaire, sont repoussés avec mépris jusqu’aux limites de la civilisation, comme de pauvres enfants morts sans baptême !

Au même instant, la porte ouvrit près de moi, et j’y vis paroître une femme d’une cinquantaine d’années, qui étoit mieux vêtue que ne le sont ordinairement les paysannes.

— Eh quoi ! dit-elle, Baptiste, vous recevez un voyageur sans le presser d’accepter du lait et des fruits, et d’accorder à notre pauvre toit l’honneur de lui procurer un peu d’ombre et de délassement ?

— Ah ! madame ! m’écriai-je, ne le grondez-pas, de grâce ! Il n’y a pas encore une minute que je suis à son côté, et son accueil m’a touché de manière à m’en souvenir toujours !

Baptiste n’avoit pas même entendu sa mère. Il étoit retombé dans ses réflexions. Ses bras étoient croisés, sa tête pendoit sur sa poitrine, et il murmuroit des mots confus que je ne m’expliquois pas.

Je suivis la bonne femme dans une pièce assez vaste