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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/56

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encore fort animés, exprimoient de la manière la plus séduisante ; à l’ascendant naturel que lui donnoit son âge avancé, M. Cazotte joignoit le précieux talent de raconter mieux qu’homme du monde des histoires tout à la fois étranges et naïves, qui tenoient de la réalité la plus commune par l’exactitude des circonstances, et de la féerie par le merveilleux. Il avoit reçu de la nature un don particulier pour voir les choses sous leur aspect fantastique, et on sait déjà si j’étois organisé de manière à jouir avec délices de ce genre d’illusion. Aussi, quand un pas grave se faisoit entendre à intervalles égaux sur les dalles du petit vestibule qui nous servoit d’antichambre ; quand la porte s’ouvroit avec une lenteur méthodique, et laissoit percer la lumière d’un falot porté par un vieux domestique moins ingambe que le maître, et que M. Cazotte appeloit gaiement son page ; quand M. Cazotte paroissoit lui-même avec son chapeau triangulaire, sa longue redingote de camelot vert bordée d’un petit galon, ses souliers à bouts carrés, fermés très-avant sur le pied par une forte agrafe d’argent, et sa haute canne à pomme d’or, je ne manquois jamais de courir à lui avec les témoignages d’une folle joie, qui étoit encore augmentée par ses caresses.

Le jour dont j’ai à vous entretenir, M. Cazotte arriva plus tard que d’ordinaire, au moment où la conversation commençoit à s’engager sur une question sérieuse. Delille de Salles s’occupoit alors d’une grande histoire du genre humain qui fait peut-être partie de l’immense collection de ses ouvrages presque oubliés, et il en développoit le système avec cette abondance pompeuse et cette profusion d’images et d’allusions qui caractérisent sa manière. Quand il eut à peu près fini : « En vérité, dit mon père, quoique je t’aie reproché souvent de mettre de la poésie partout, je dois convenir que je ne le verrois pas sans plaisir tenter de renouveler les formes du style historique. Il me semble que l’on s’est presque toujours mé-