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Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/57

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pris sur la manière de présenter les faits passés et de leur rendre la vie et l’intérêt du moment où ils se sont accomplis. Je ne parle pas du vieux Plutarque et de notre Philippe de Commines, qui ne nous paroît guère moins vieux que Plutarque. Ces gens-là savent s’emparer d’une action, la mettre en scène, et m’appeler du rang des spectateurs au milieu des personnages, pour me faire assister de plus près encore à leurs débats, pour me faire participer plus intimement aux passions qui les remuent. C’est de l’histoire vivante. Dans tout ce qu’on appelle historiens, surtout en France, je ne vois presque d’ailleurs que de froids compilateurs, de froids documents, des greffiers, des feudistes, des gazetiers d’une part, et de l’autre que des rhéteurs ampoulés, des déclamateurs gonflés de paroles et de vent, qui paraphrasent le procès-verbal des premiers en pathos oratoire. À cinquante-quatre ans, j’ai vu de l’histoire, et si les événements continuent comme aujourd’hui, je pourrai me flatter avant peu d’en avoir vu plus qu’il ne s’en fait ordinairement dans trois ou quatre siècles. Cette histoire, à laquelle j’étois présent, on l’a déjà écrite en partie, et je suis tout surpris, quand j’essaye de la lire, de la trouver si commune, si insipide, si dénuée d’âme et de mouvement, à côté de mes sensations. J’oserois bien affirmer, pour tout ce qui concerne l’époque que notre mémoire peut embrasser, qu’on apprendroit cent fois plus dans la conversation d’un vieillard de bonne foi, pourvu qu’il fût doué d’un peu de sensibilité et de quelque jugement, que dans toutes les rapsodies de nos historiographes. C’est moi qui ai donné à M. de Voltaire l’anecdote du chevalier d’Assas, tué à Clostercamp, dans la nuit du 15 au 16 octobre 1760. Je la tenois d’un nommé Charpin, mon perruquier, qui avoit servi dans le régiment d’Auvergne, et qui la racontoit bien mieux que M. de Voltaire lui-même. »

Delille de Salles ne répondit point. Le nom du perru-