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Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/160

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sentir. L’homme plus complètement socialisé, dépouillé davantage de sa nature animale, pour y substituer une nature humaine, s’élevant de la sensation et de l’impulsion aveugle à la phase de la raison et de la liberté, que ne peut-il attendre encore de bonheur ? Il aura échangé enfin sa pauvre et précaire vie de haine et de conflit contre les richesses et les joies de la collaboration savante et de la sympathie profonde. La société est pareille à une machine grossière qui ne donnerait encore que 1 % de force utile pour 99 % de frottement et de force perdue. Tous les efforts doivent tendre à perfectionner la société. Déjà le vieil Aristote disait : L’homme est un animal constructeur de cités[1]. »

La conception du bonheur domine donc l’organisation de la société internationale comme elle domine celle des sociétés nationales. Si la meilleure organisation des choses de celle-ci est susceptible d’accroître le bonheur de l’individu, la meilleure organisation de la vie mondiale tout entière est susceptible d’apporter plus de bonheur aux peuples. Le bonheur collectif, le bien commun est aussi le critère suprême de l’une comme de l’autre. La formule de Bentham : « Le plus grand bonheur du plus grand nombre », précisée ainsi par Duprat : « Procurer à l’ensemble des hommes solidaires le maximum des satisfactions complémentaires les unes des autres. »

235.2. PROGRÈS. — Les problèmes du progrès se divisent en une série de questions. Qu’est-ce que le progrès et en quoi consiste-t-il ? Le progrès est-il indéfini ou a-t-il un terme assignable ? Le progrès est-il continu ou toute période d’évolution positive n’est-elle pas suivie dans la nature d’une régression ? — Le progrès moral suit-il nécessairement le progrès actuel ?

Jusqu’ici une vie sociale universelle s’est établie dans le monde, spontanément ou par efforts partiels et dispersés. Une civilisation d’un haut degré a été atteinte. Mais nous n’avons pas su nous en servir, car nous ne lui avons assigné ni directions ni buts dignes des efforts associés de tous et capables de former des dérivatifs aux querelles et aux compétitions particulières des États, des Nationalités.

1. Notions. — L’idée de progrès semble avoir eu pour les anciens beaucoup moins d’importance que pour les modernes. L’idéal politique de Platon et de beaucoup de ses concitoyens était la stabilité. Le progrès dans la nature ne fut vaguement connu que par Héraclite, qui admit plutôt le changement incessant. Aristote étudia profondément le mouvement et le changement, mais crut à des forces éternelles et immuables. Les stoïciens ne concevaient qu’un retour à l’embrasement universel au terme de la grande année. Lucrèce n’a fait qu’esquisser dans son premier livre du De rerum naturæ une théorie du progrès

  1. Izoulet, La Cité moderne, Paris, Alcan, page 319.