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Page:Pérochon - Les Gardiennes (1924).djvu/235

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LES GARDIENNES

du Marais et, malgré les restrictions, la quantité de pain produit se trouvait à peu près égale à celle d’avant-guerre.

Le père envoyait à ses enfants des conseils de prudence, les priait de ne pas compromettre leur santé par un travail excessif ; ils répondaient avec fierté qu’ils avaient acheté un bateau, acheté un cheval et placé encore quelques économies en Bons de l’État.

Donc, Marguerite, par ce beau matin, chantait, au moment d’enfourner pour la deuxième fois. La Misangère, passant par là, vouiut se donner la joie de la saluer. Elle entra sans bruit, par la cuisine : de là, pur une porte vitrée, on apercevait l’intérieur de la boulangerie. La Misangère s’arrêta une minute à regarder travailler Marguerite et Lucien ; elle les vit gais, actifs, et son visage soucieux s’éclaira.

Depuis le jour où elle avait, d’une main brutale, ramené son fils dans le chemin qu’elle voulait lui voir suivre, un sourd malaise, à de certaines heures, s’imposait à son cœur et la tourmentait. Certes, au moment d’agir, son devoir lui était apparu comme un trait droit ; elle n’avait nullement balancé, nullement hésité à sacrifier une étrangère. Mais, dès le lendemain, une pitié inattendue l’avait étreinte devant la détresse de sa victime.

Et, maintenant, elle avait beau se représenter la double utilité de son mensonge, combien il importait que l’honneur des siens fût sauf et que Georges fût guéri de son caprice aventureux, elle n’en pensait pas moins qu’elle avait calomnié une pauvre fille à qui tout manquait sur la terre, un être fragile