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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/196

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DES EAUX

le sel peut estre veneneux ; et ne faut penser que toutes eaux bonnes à boire soyent exemptes de venin : mais vn peu de venin en vne grande quantité d’eau n’a pas puissance d’actionner sa nature mauuaise : comme les eaux qui passent par des veines où il y a du sel commun, ne peuuent estre mauuaises. Celles qui passent dedans les canaux des rochers ne peuuent amener autre chose que du genre de sel qui a causé la congelation desdits Rochers : et ledit sel est conneu en la calcination extraite des pierres desdits Rochers, et lors que telles pierres sont calcinees l’on trouue au goust de la langue la mordication et acuité dudit sel, lequel estant dedans l’eau peut aussi bien congeler des pierres au corps de l’homme comme il fait en la terre, n’estoit la raison que i’ay alleguée cy dessus ; que la grande quantité d’eau efface le pouuoir d’vn peu de venin[1]. C’est chose certaine qu’il y a des fontaines qui donnent les fieures à ceux qui en boyuent. Ie n’ay iamais veu venir estranger au pays de Bigorre pour y habiter, que bien tost apres n’ayt pris les fieures : l’on voit audit pays grand nombre d’hommes et femmes qui ont la gorge grosse comme les deux poings ; et est chose toute certaine que les eaux leur causent ce mal, soit par la froidure des eaux ou par les mineraux par où elles ont passé. Pline raconte au trentiesme liure de son histoire naturelle, chap. 16, qu’il y a vne fontaine en Arcadie, de laquelle l’eau est d’vne nature si pernicieuse qu’elle dissipe tous les vaisseaux ausquels elle est mise : Et ne peut on trouuer aucun vaisseau qui la puisse contenir. Sur ce propos ie diray ce qu’en escrit Plutarque en la vie d’Alexandre le Grand[2], c’est qu’aucuns ont pensé qu’Aristote enseigna à Antipater le moyen de pouuoir recueillir de ceste eau, à sçauoir dans l’ongle d’vn asne, et qu’Alexandre fut ainsi empoisonné. C’est vne chose toute certaine que tout ainsi qu’il y a diuerses especes de sels en la terre, qu’il y a aussi diuerses huiles, tesmoin l’huile de petrolle, qui sort des rochers : et faut croire que le bitumen n’est autre chose qu’huile

  1. On ne peut mieux raisonner sur cette matière ; et c’est là la veritable manière d’envisager les eaux de source, qui sont toutes plus ou moins minéralisées par les substances répandues au milieu des terrains qu’elles traversent.
  2. Traduct. d’Amyot, cxxiii.