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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/302

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DV SEL COMMVN.

mes soyent bien larges : car les cheuaux se rencontreroyent l’vn l’autre. Entens maintenant l’industrie de laquelle il a fallu vser pour rendre les marez propres pour garder que la terre ne succe l’eau qui y est mise, pour saller. Quand la grande quadrature a esté creusée et les vuidanges ostées, au parauant que former les voyes et parquetages, ils ont vn nombre de cheuaux et iuments, lesquels ils attachent l’vn à l’autre en quelque sorte, pour les pourmener, puis les mettent dedans icelle grande quadrature, où ils veulent former les marez, il y a vn personnage qui tient le premier cheual d’vne main, et de l’autre main vn fouët, lequel pourmene lesdits cheuaux et iuments en diligence, iusques à tant que la terre de solle soit bien conroyée, et qu’elle puisse tenir l’eau, comme un vaisseau d’airain. Et la terre estant ainsi bien conroyée, ils dressent leurs voyes et parquetages par lignes directes, donnant la pente requise de degré en degré, en telle sorte qu’il n’y a maçon ny geometrien qui la sçeut mieux niueler auec tous les outils de geometrie, qu’ils la niuellent auec de l’eau : car l’eau leur donne à connoistre clairement les lieux plus hauts ou plus bas.

Apres di-ie que la terre est ainsi conroyée, ils forment leurs voyes et parquetages ainsi que si c’estoit de la terre à potier, voyla pourquoy ie t’ay dit ci deuant que ores que l’on peut trouuer des lieux plus bas que la mer, il seroit impossible de dresser marez sallans si la terre n’es naturellement argileuse ou visqueuse comme celle des potiers.

Il y a encores vn grand labeur qu’il a conuenu faire à nos predecesseurs pour dresser les marez ; il ne faut point douter que les premiers qui en ont erigé, n’ayent choisi les lieux les plus proches de quelque canal naturel : car s’il n’y auoit point de canal, il seroit difficile d’amener le sel qui se fait sur les marez, iusques au nauire dedans la grande mer, par ce que les grands nauires ne peuuent approcher du bord, à cause de leur grandeur : parquoy ceux qui vendent du sel ameinent des petites barques qui entrent au dedans du platin le plus pres qu’ils peuuent du sel qu’ils auront vendu ; ils posent l’ancre, et ainsi l’on apporte ledit sel premierement en la barque, puis l’on meine ladite barque pour descharger dans le nauire : et faut noter que le plus souuent en certains canaux l’on n’y peut entrer que au plein : et pour en sortir, si la mer s’en est al-