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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/307

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DV SEL COMMVN.

seroyent inutiles. Car où sont les bois pour faire ledit sel ? i’ose bien dire que toutes les forests de France ne sçauroyent faire en cent ans autant de sel de fontaines ou de puits salez qu’il s’en fait en vue seule année en Xaintonge, à la chaleur du soleil ; non pas vne année, mais seulement depuis la my-May iusques à la my-Septembre. Car ils n’en sçauroyent faire en autre saison. Il y a des puits ou fontaines en Lorraine, desquels l’on fait grande quantité de sel : mais ie te prie considere vn peu la grande despense. La chaudiere où l’on fait bouillir l’eau, a trente pieds de long et autant de large, elle est maçonnée sur vn four qui a deux gueules, et à chacune gueule il y a deux hommes qui ne cessent de ietter bois dans icelles. Il y a vn grand nombre de chariots pour charier le bois, et des hommes pour le mettre pres du four, autres sont au bois pour le couper. L’on tient pour certain que toutes les années il faut la leuee de mil arpens ou quartiers de bois taillis pour entretenir lesdittes fournaises, et l’ordre est tel qu’il y a quatre mil quartiers de bois destinez pour l’entretenement des fours : et par chascun an l’on en coupe mil quartiers, et au bout de quatre ans les quatre mil quartiers estans coupez, ils recommencent au premier milier qui auoit esté coupé. Or considere si quelqu’vn auoit en France mil quartiers de bois taillis, s’il voudroit bailler la leuée dudit bois pour le prix que pourroit estre vendu le sel qui se ferait de dix mille quartiers, il est certain que le bois vaudroit plus, et s’en trouueroit plus d’argent que du sel. Et combien que le bois ne couste rien au Duc de Lorraine, si est ce que les frais de faire le sel au feu, sont si grands que le sel est trois fois plus cher en Lorraine, que non pas en France. O combien la beatitude de la France est plus grande en cest endroit que celle des autres nations. Et combien qu’en Portugal il s’en face à la chaleur du Soleil, si est ce qu’il n’est pas si naturel que celui de Xaintonge : par ce qu’il a vne acuité si grande et corrosiue, que plusieurs en ayant salé des lards ont trouué des trous et incisions que les gros grains de sel auoyent fait au trauers desdits lards. Quant est de celuy de Lorraine, tant il s’en faut qu’il soit si conseruatif que celuy de Xaintonge, que bien souuent les lards dudit lieu sont tous remplis de vers apres auoir esté salez. Plusieurs Royaumes estrangers, ayant quelque quantité de sel en leur pays, ne laissent pour cela d’en venir querir en France, et