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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/476

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medeciner ceux de France, sans en aller chercher en ces pays maritimes qui sont du tout contraires à nous ; mais ils n’ont cognoissance ny intelligence aux medicamens non plus que bestes, et n’oseroyent entreprendre d’experimenter autre que ce qu’ils ont leu en leurs liures, et pour ce qu’ils vilipendent l’estat de Pharmatie, ie dis que iamais ne fut et ne sera bon Medecin, s’il n’a esté Apoticaire, et qu’il n’ait frequenté l’herbolage et les drogues pour connoistre la force, saueur, vertu et acrimonie, les auoir veu composer pour seurement en ordonner après, et ne faire comme celuy qui me demanda dernierement si l’auois du sirop d’absinthe Romain, et ie luy dis que ouy.

Il me dit qu’il auoit plus de vertu à conforter l’estomac que l’absinthe Pontic, et en va ordonner pour boire en l’eau bouillie, et à la cueillier, à vne ieune Damoiselle, sans regarder l’amertume qui est si grande, que quand la ieune Damoiselle en tasta, cuida creuer de vomir, et rua fiole, sirop et verre par terre. Et si le Medecin eust veu faire le sirop et en eust tasté, il se fut bien gardé d’en ordonner pour boire en eau, car il est trop plaisant : et s’il se fust trouué près de la Damoiselle quand elle gousta du sirop, elle luy eust ietté par la teste ; ainsi font-ils des autres choses, pour ce qu’ils ne virent iamais rien faire des compositions qu’ils ordonnent, et ne sçauent si elles sont aigres ou douces, vertes ou blanches.

Ie ne dis pas qu’il n’y ait des Apoticaires veaux et asnes, ne sachant rien de leur estat ; ie n’escris pas pour soustenir ceux-là, mais plutost les voudrois vilipender, et monstrer au doigt que de les soustenir : car c’est grande conscience à vn Apoticaire de se mesler de distribuer la medecine, et n’a la cognoissance des medicamens, et plus grande conscience au Medecin qui ordonne quand il a cognoissance que l’Apoticaire est vne beste.

Mais auiourd’huy les Medecins iront plutost ordonner chez vn Apoticaire ignorant que chez vn sçauant : car l’ignorant luy leuera le bonnet tant de fois qu’il parlera, fera grandes reuerences, donnera presens, trouuera tout bon, ne contredira en rien, et deust le Medecin tourner tout sens dessus dessous, ce que ne fera vn docte Apoticaire : car il ne peut endurer vne chose mal faite deuant les yeux, qu’il ne repugne ; aussi les Medecins ne cherchent pas ceux-là, et se garderont bien