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Page:Palissy - Oeuvres complètes (P. A. Cap, 1844).djvu/73

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semences que tu y mettras apres, reprendront la mesme chose que tu y auras porté. Voila comment il faut qu’vn chacun mette peine d’entendre son art, et pourquoy il est requis, que les laboureurs ayent quelque Philosophie : ou autrement, ils ne font qu’auorter la terre, et meurtrir les arbres. Les abus qu’ils commettent tous les iours és arbres, me contraignent en parler ainsi d’affection.

Demande.

Tu fais icy semblant que des arbres ce sont des hommes, et semble qu’ils te font grand pitié : tu dis que les laboureurs les meurtrissent, voila vn propos qui me donne occasion de rire.

Responce.

C’est le naturel des fols et des ennemis de science : toutesfois, ie sçay bien ce que ie dis, car en passant par les taillis, i’ay contemplé plusieurs fois la maniere de coupper les bois, et ay veu que les buscherons de ce pays, en couppant leurs taillis, laissoient la seppe ou tronc qui demeuroit en terre tout fendu, brisé, et esclatté, ne se souciant du tronc, pourueu qu’ils eussent le bois qui est produit dudit tronc, combien qu’ils esperassent que toutes les cinq annees les troncs en produiroyent encores autant. Ie m’esmerueille que le bois ne crie d’estre ainsi vilainement meurtry. Penses-tu que la seppe qui est ainsi fendue et esclattee en plusieurs lieux, qu’elle ne se ressente de la fraction, et extorsion qui luy aura esté faicte ? Ne sçais-tu pas bien que les vents et pluyes apporteront certaines poussieres dans les fentes de ladite seppe, qui causera que la seppe se pourrira au milieu, et ne se pourra resoudre, et sera à tout iamais malade de l’extorsion qui luy aura esté faicte ? Et pour mieux te faire entendre ces choses, contemple vn peu les aubiers, lesquels sur un mesme degré produisent plusieurs branches, qui croissent directement en haut en peu de temps, et icelles paruenues à la grosseur ou enuiron du bras d’vn homme, on les vient à coupper, et la mesme année que lesdites branches auront esté couppees, pres et ioignant la couppe d’icelles, il sortira un nombre de gittes, qui derechef viendront à la mesme grosseur que les susdites : et par tel moyen la teste de l’aubier s’engrossira en cest endroit, après que plusieurs années on luy aura couppé ses branches, desquelles aucuns font des cercles, et des paux[1] pour sous-

  1. Pluriel du mot pal (palus), pieu, échalas.