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Page:Paquin - Œil pour œil, 1931.djvu/42

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ŒIL POUR ŒIL

divan bas, une table massive au centre surchargée de livres.

Luther Howinstein, dès qu’il la vit se porta à sa rencontre, la main tendue. Si les lèvres souriaient, il y avait dans le regard un je ne sais quoi, d’intimidant, de farouche, de satisfait, de désir, et de tristesse.

— C’est très aimable à vous d’être venue. Je vous en remercie.

— Je ne suis venue vous voir que dans l’intérêt de mon mari. Vous aviez une communication à me faire

— Prenez la peine de vous asseoir

Il avança un fauteuil et se porta vers elle pour l’aider à enlever sa pelisse.

— Merci. Ma visite ne sera pas assez longue.

— Ne me ferez-vous pas l’honneur de prendre une tasse de thé avec moi ?

Avant même qu’elle eût eu le temps d’acquiescer à sa demande, il sonna le domestique qui l’instant d’après, apportait sur le plateau roulant la théière et les gâteaux.

— Ne peut-on pas causer comme deux amis. Ne suis-je pas l’ami de votre mari, par conséquent le vôtre…

Et pendant qu’il parlait, il dardait vers elle, le feu de ses regards qu’il ne cherchait plus à dissimuler…

Natalie frissonna… Elle se sentait une frêle créature que cet homme, qui ne lui avait jamais rien fait pourtant, et qu’elle détestait sans savoir pourquoi pourrait briser entre ses bras…

Elle regretta d’être venue. Une idée la ranima : son mari. Il courait un danger qu’elle pouvait conjurer. Elle sentit qu’Howinstein, était l’homme qui pouvait le sauver, et qu’elle était l’instrument qui causerait, selon ses agissements, ou son salut ou sa perte. Elle ne croyait pas que l’homme chez qui elle était en ce moment pût agir envers Herman pour un motif désintéressé. Il devait avoir un but, il avait un but. Ce but, quel était-il ? Tout à coup elle rougit. Elle devinait… Elle était décidée à tout. Oui tout, mais pas ça. Comme un oiseau se débat contre la fascination d’un serpent elle se débattait contre le pouvoir mystérieux de cet homme.

Ramassant tout son courage, elle fit un effort désespéré de tout son être pour ne pas laisser voir qu’elle comprenait. Puisqu’il fallait lutter elle lutterait. Le souvenir du petit enfant blond qu’elle avait pieusement baisé au front tout à l’heure la réconforta…

Elle tiendrait tête. Elle venait de le décider. Elle aussi possédait un pouvoir mystérieux, le pouvoir étrange de séduction qui émanait de toute sa personne pouvoir terrible de grâce, de charme et de pureté qui avait fait que tant d’hommes et parmi les plus énergiques, se sont agenouillés, domptés et soumis aux pieds d’une femme…

Sur ses lèvres un sourire erra…

— Eh ! bien soit, dit-elle, parlez-moi comme à une amie. C’est vrai les amis d’Herman sont mes amis, et d’après cette preuve que vous me donnez il peut désormais vous considérer comme l’un de ses plus fidèles amis et de ses plus désintéressés

— Une tasse de thé, offrit-il, ne voulant pas aborder immédiatement le sujet principal de leur causerie.

— Si vous voulez.

À la bonne heure pensa-t-il, elle ne se doute de rien…

Il approcha sa chaise de la sienne et se mit à causer.

D’être en la compagnie de cette femme qu’il aimait et convoitait, changea soudain l’âpreté de son caractère et de son tempérament. Il se laissa glisser à la causerie intime et tendre, et même jusqu’à la confidence…

Il parla de sa jeunesse, de ses ambitions, de ce qu’il serait un jour.

Elle le laissait causer, se montrant pour lui d’une amabilité et d’une câlinerie qui le surprenait, le désarmait presque.

Elle voulait tant savoir. Quand elle jugea l’instant propice à la révélation qu’il tardait de faire, elle fit appel à tous ses charmes et lui posa nettement la question :

— Quel est ce complot contre mon mari. Voyez-vous, cette incertitude me