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Page:Paquin - Œil pour œil, 1931.djvu/43

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ŒIL POUR ŒIL

pèse… Après nous reprendrons notre conversation. Elle me plaît énormément j’aime vous entendre parler, entendre raconter ce que seul, sans appui, vous avez réussi à accomplir. Vous avez une telle volonté qu’il faut bien que les obstacles s’aplanissent devant vous.

Elle le frappait au défaut de la cuirasse, lui vantait son énergie, sa volonté, qualité dont il s’enorgueillissait le plus volontiers… Cette femme-là pourrait donc le comprendre… Elle le comprenait… Elle l’admirait même.

Cette pensée seule lui inonda le cœur d’une joie inconnue. Il oublia qu’elle était la femme d’un autre pour rêver ne fut-ce que l’espace de quelques minutes qu’elle était à lui, rien qu’à lui, puisqu’elle partageait son toit, et semblait également partager ses enthousiasmes et ses ambitions…

Il voulut continuer. Elle l’interrompit.

— Je vous écouterai plus tard. Si vous ne me dites pas immédiatement le danger qui menace Herman, je me sauve et jamais de ma vie je ne vous reverrai.

Toutes ses prévisions étaient dérangées. Au lieu de la tenir, c’est elle qui le tenait.

La garder chez lui de force ? Il ne le voulait pas. Il espérait plus que cela, depuis qu’il avait cru saisir en elle, la marque d’intérêt qu’elle lui portait.

Alors, il lui conta ce qu’il savait de l’attentat projeté. Un homme devait se présenter dans quelques jours qui demanderait à voir son mari. Cet homme, avait juré de le tuer. Il en fit la description. Il était payé pour ce faire. L’assassinat perpétré, une voiture était à sa disposition sur la grand’route qui le mènerait immédiatement à la frontière. Tout était fixé, réglé d’avance, les passeports préparés… Natalie écouta avec attention, s’efforçant de ne rien manifester de la crainte qui était en elle et la torturait…

Quand Lowinstein eut fini, elle se leva comme pour prendre congé…

— Je vous remercie, dit-elle. Vous me permettez de me retirer…

Il s’aperçut qu’elle l’avait joué. Il avait donné naïvement dans le panneau.

Il se leva, lui barra la route.

— Pardon, madame, j’exige maintenant le prix de ma confidence. Elle fit mine de ne rien comprendre.

— Veuillez, s’il vous plaît, vous asseoir un instant. J’ai encore à causer avec vous…

Elle obéit, devant le regard impérieux, et qui la dompta soudain. Derechef, elle était désemparée, comme une petite chose ballotée au caprice d’un homme.

La voix âpre, il commença de lui narrer, tout ce que sa vue, à la première occasion qu’il la rencontra, avait fait naître en lui, de sentiments insoupçonnés ; il lui conta les nuits où le sommeil le fuyant, il voyait luire en lui, le phare de ses yeux lumineux, qui le hantaient, le poursuivaient ; il raconta l’intime souffrance qui était sienne, de porter ce lourd secret d’un amour impossible.

Passive, elle écoutait, sans rien dire, n’ayant plus la force de rien, les yeux clos pour ne pas voir l’éclat métallique des yeux gris dardé sur elle. Elle en éprouvait une sorte de lourdeur, une pesanteur indéfinissable, qui l’accablait, qui l’étouffait.

Lui, continuait, comme un torrent qui brise les obstacles, et se ruent dans une course vertigineuse et folle, tout ce qu’il avait enduré, tout ce qu’il avait souffert lui remontait au cerveau et les mots se suivaient, chargés de passions…

Soudain, elle tressauta…

— Monsieur, c’est assez !

Derechef elle se leva pour s’en aller. Derechef, il lui barra la route…

— Ah ! vous croyez que je vous ai là, chez moi, à ma merci et que je vais être assez stupide pour vous laisser partir… comme cela… Un ricanement tordit ses lèvres… Elle poussa un cri.

— Ah ! laissez-moi ! vous me faites horreur !

Les mots cinglèrent sur son orgueil comme un coup de fouet.

Il devint blême.

Allait-il perdre la partie ! À présent qu’il avait joué son dernier atout ! Il cou-