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Page:Paquin - Œil pour œil, 1931.djvu/48

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ŒIL POUR ŒIL

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— Je ne puis rien… Rien… rien. Il est coupable… Il faut qu’il expie… C’est la loi.

— Pour moi… Tu ne peux rien faire…

— Pourquoi me mettre à la torture…

Tu sais bien que je souffre doublement et pour lui et pour toi…

Aussi, pourquoi s’embarquait-il dans cette aventure ?

— Il est si jeune, avec cela, enthousiaste. On lui a monté la tête…

L’auto stoppa…

Le couple descendit.

Le domestique ouvrit la porte qui se referma sur leur solitude, comme une porte massive de prison…

La veillée fut longue. Les heures tombaient lentement dans le néant. Ils regardaient les bûches se tordre dans la cheminée.

Parfois, il se levait, faisait quelques pas, les mains tordues derrière le dos… Puis, il revenait vers sa femme essayait quelques paroles banales de consolation sans arriver à chasser le nuage qui assombrissait son front.


XIV


Des jours ont passé, des jours tragiques. Avec une volonté de fer, le jeune ministre des affaires étrangères qui, effectivement tient dans ses mains les destinées de l’Uranie, détruit implacablement tout ce qui menace la sécurité du pays et entrave sa marche vers la prospérité…

Aux démarches nombreuses faites vis-à-vis de lui pour obtenir la grâce de son beau-frère, il a opposé sa détermination formelle de laisser la loi suivre son cours.

Cette exécution est nécessaire. Elle doit être un exemple pour ceux qui seraient tentés de conspirer contre la patrie, ou même contre le pouvoir établi.

L’exécution doit avoir lieu dès l’aube le lendemain matin.

C’est le soir.

Herman n’a voulu recevoir, ni voir personne.

Aux larmes de Natalie, il n’a pas fléchi ; il ne veut pas fléchir. Il l’a reconduite à ses appartements, lui a souhaité une bonne nuit et s’est retiré…

Enfermé dans son cabinet de travail, il arpente fiévreusement la pièce. Toutes ses idées sont en désarroi.

Cette mort tragique signifiera-t-elle l’écroulement de son bonheur familial ?

Il ferme les yeux et voit par la pensée le jeune homme adossé au mur, face au peloton sinistre… Il entend les détonations. Il le voit tomber sur le sol, un filet de rouge lui marbrant la figure… L’horloge marque la demie d’une heure.

Encore quatre heures d’attente. Encore quatre heures à vivre pour l’autre là-bas, qui va tomber, fauché, en pleine jeunesse.

Et Natalie ?

C’était le seul parent qui lui restait ?

Une tentation lui vient de décrocher l’appareil téléphonique. Un numéro. Un ordre. Un sursis. Une vie humaine prolongée.

Cela, il le peut. Il en a le pouvoir. Que dira la presse d’opposition ?

Il n’en a cure.

Il s’assied, allume un cigare, et regarde quelques instants la fumée bleue s’élever dans l’air, s’étirer et se dissoudre.

Il aperçoit des rues jonchées de cadavres. Il entend le crépitement saccadé des mitrailleuses. Il voit des cavaliers charger la foule. Il entend les hurlements ; les plaintes, les cris de rage, de douleurs, d’impuissance.

Gracier Lowinski !

Il ne le peut pas.

La crapule relèverait la tête. Les conspirateurs redoubleraient d’activités avec une audace toute nouvelle. Et lui ! lui, qui s’est donné à son pays, aura-t-il rempli son devoir vis-à-vis de lui ?

Ne doit-il pas sacrifier son bonheur personnel au bonheur de son peuple ? Un accablement morne l’envahit ; il se