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Page:Parigot - Alexandre Dumas père, 1902.djvu/168

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ALEXANDRE DUMAS PÈRE.

voir, sans limite, sans contrôle, et sans mesure que celle de la volonté, par la force massive de l’or : voilà le talisman de Monte-Cristo qui le rend cher à la foule.

Sûr de son ascendant sur elle, il recule les limites de l’orgueil et de la crédulité. Lorsque Julien Sorel est condamné à mourir, on dirait que son esprit s’aiguise et que ses sensations s’affinent encore. Dès que Monte-Cristo est riche à millions, intelligence, activité, passions dominent de haut le monde. Il est « un Néron à la recherche de l’impossible », un « grand seigneur de tous les pays », et comme un « résumé de toutes les connaissances humaines ». Sa puissance s’étend sur les bandits, sur les banquiers, sur Caderousse, le forçat, sur Villefort, le procureur, sur son intendant, qu’il a sauvé de la prison, sur son nègre Ali, qu’il a soustrait au supplice, sur la fille du pacha de Janina, qu’il a préservée de la honte. Des objets de ses passions, et singulièrement de sa vengeance, il a composé un univers qu’il gouverne à son gré. Il supprime ou multiplie les distances ; entre ses ennemis et lui il met l’Océan, ou il escamote les murs comme Asphodée : également capable de revêtir toutes les formes à la façon de son maître Protée et de Rocambole, son plus agile disciple. Il fait mourir les vivants et revivre les morts, ne dédaignant pas d’accomplir sur son chemin quelques miracles. Sous son air flegmatique il éprouve toutes les sensations avec intensité. Un Stendhal en eût ressenti de plus délicates, mais aucune qui sollicitât pareillement l’imagination des hommes qui vécurent dans la première moitié du