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Page:Parigot - Alexandre Dumas père, 1902.djvu/36

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ALEXANDRE DUMAS PÈRE.

goût du banquisme a renchéri sur l’amour de la popularité. Dumas n’a pas conquis l’Europe, mais c’est tout comme ; il a poussé jusqu’au Caucase, dont l’éloignement suffisait à réveiller l’enthousiasme du boulevard. Hanté par le souvenir de Byron et de Lamartine, il équipe une goélette, l’Emma, pour se rendre en Terre Sainte, fait voile sur Palerme, où il ravitaille Garibaldi, est nommé par le chef de bandes conservateur des musées de Naples, puis se voit poussé dehors par les Napolitains, sans être retenu par son grand homme las de ses rodomontades. Cuisinier émérite, ne pensa-t-il pas devenir un politique ?

Mais pendant quarante années, il crée, il anime milieux, époques et individus pour le plus grand plaisir de ses contemporains. Il n’est ni un penseur, ni un idéologue : les idées générales ne lui réussissent guère ; de méditer il n’eut jamais le loisir. Sa fonction est d’imaginer ; la force vitale frémit en son cerveau. Toute son existence, toutes ses œuvres, il les a livrées en proie à son imagination et à ce don de répandre la vie. De là vient qu’il lui arrive de se confondre avec ses héros, d’extraire l’illusion de la réalité vécue, ce qui est le fonds solide d’Antony, ou, ce qui offre plus de danger dans la pratique, de réaliser le rêve : alors il construit à grands frais la demeure de Monte-Cristo, qui le ruine. Mais qu’importe ? Il lui faut un château à lui, un théâtre à lui, un journal à lui, une légende à lui. Si les huissiers vendent le reste, la légende est insaisissable. Pendant quarante années, il la soutient à grand effort, jusqu’à ce que le poids de son rocher