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Page:Parigot - Alexandre Dumas père, 1902.djvu/55

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LE DRAME HISTORIQUE ET POPULAIRE.

au cœur d’un exilé verser de doux souvenirs et d’espoirs plus doux encore, tout ce que le concert languissant des images et des mots peut insinuer de joies et de voluptés alliciantes,

Auprès de vous assise une femme étrangère
Que ceux de l’Occident appelaient Bérengère,
Entourait votre cou de ses bras amoureux…


toutes ces délices enivrent Yaqoub, comme un parfum empoisonné. Le fauve frissonne ; sa force se fond ; il est dompté. Non, mais un souvenir le redresse et retourne la scène : ce comte qu’il faut tuer, lui sauva la vie au désert. Et, se tordant dans les affres douloureuses, il jette, ou plutôt il étouffe ce gémissement du cœur :

Et cette goutte d’eau qu’il versa sur ma bouche !


Alors Bérengère, la faible femme, déchire et fouille ce cœur cruellement. Tout au fond, elle va chercher de sa fine main impitoyable le levain de la jalousie plus âcre que le plus âcre amour. Aux yeux de l’Arabe affolé elle évoque, avec une ingénieuse impudeur, dans un transport de cette jalousie même qu’elle excite et dont elle souffre, les soupirs, les cris, les pleurs, les extases, les délires de l’intimité conjugale, et, après les longues absences, les longues nuits du retour… — Dammation ! cri de détresse du fauve vaincu. — Enfin ! cri de joie de la femme qui se venge. Ces deux cris retentissent ensemble, le poignard d’Yaqoub tranche la vie du comte et décide le dénouement du drame, cependant que Bérengère, debout derrière l’esclave agenouillé, jette à sa victime le mot suprême de l’action passionnée : « C’est moi ! »