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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/108

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

dans le rêve. La réalité ne leur apparaît qu’à travers un nuage poétique ou métaphysique ; et juste à l’instant qu’ils vont prendre pied sur un terrain solide, ils s’échappent dans l’abstraction. Les figures de premier plan se fondent et s’évaporent, quelquefois en fumée. Pour racheter ces essors et se rattraper au vrai des choses, on ne rebute point les violences, on force le réalisme jusqu’à la brutalité. Schiller, qui est plus dramaturge, beaucoup plus que Gœthe, et qui a écrit l’Intrigue et l’Amour et les quatre premiers actes de Guillaume Tell, n’est pas exempt de ces graves défauts.

Il a le sens du théâtre ; il n’en a pas le don. Il refait, lui aussi, ses pièces ; elles ne sont jamais au point. Sous prétexte d’imiter la vérité et surtout la liberté de Shakespeare, il délie l’ordonnance dramatique. Il abonde en situations émouvantes, mais qui ne sont pas d’ensemble. Sa trilogie de jeunesse est pleine de beautés plus que shakespeariennes, aggravées de la misanthropie révoltée de Rousseau. Il va volontiers au delà du modèle, par la crainte de rester en deçà, et aussi faute d’être soutenu par le solide et continuel appui de l’observation et de la composition. Ses héros ne sont vivants que par intervalles ; ils prennent des poses ; ils recherchent la théorie. Ils sont des concepts qui de temps en temps s’animent. En revanche, quand ils s’animent, ils n’y vont pas de main morte. Les Brigands forment un mélodrame philosophique, compact, brutal, un peu lourd, avec un traître bien noir, une jeune fille qui est une aimable personne, et un brigand fort honnête homme, qui a versé dans le brigandage par humanité. Il paraît bien que là-dessous gronde une philosophie juvénile, révoltée, et qui s’arme d’une libre morale. Charles Moor a engendré chez nous nombre de bandits qui sont des apôtres, et que Pixérécourt déjà, se refusant à les déshonorer d’un vilain