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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/174

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

né des lassitudes sensuelles et des excès de sensibilité du xviiie siècle, pendant les exodes de l’Empire, après les secousses de 89, la pouvait concevoir, toute-puissante, sans frein, renversant toutes les barrières à la force du poignet, et de par les droits de l’imagination. Saint-Mégrin est le champion des rêves et des cœurs. Il incarne cette ardeur déchaînée, évocatrice, magique, fatale et peu platonique. Il en meurt, sans l’assouvir. Regardez-y de près : il meurt avec courage, mais à regret. Il préférerait que la mort vînt après[1]. Ainsi feront d’autres — qui disparaîtront après le plaisir, pour l’honneur. Il est surtout individualiste en amour, naïvement, mais avec une intrépidité de bonne opinion incomparable : « Ah ! madame, s’écrie-t-il, on n’aime pas comme j’aime pour ne pas être aimé[2]  ». Il ne s’engourdit pas

À regarder entrer et sortir des duchesses[3],


il pousse droit au but, il affronte le martyre moderne. On n’y prend pas assez garde, parce que Saint-Mégrin est une ébauche, et que le décor historique fait illusion. De même, Catherine de Clèves, qui a lu Jean-Jacques et attend George Sand, est déjà rêveuse, sensible, soucieuse de sa réputation, non au point d’en être esclave — jusqu’au moment où, dans un élan superbe, elle se révolte contre l’opinion, les préjugés et les devoirs, et s’enivre des joies douloureuses de l’amour. Elle est l’esquisse, elle aussi, de la faible femme souveraine (le plus notable contresens de ce siècle), placée si haut par les romantiques, et qui trébucha si follement de ces hauteurs.

  1. V, sc. ii, p. 195. « Oh ! assez ! assez ! Tu ne veux donc pas que je puisse mourir ? Malédiction !… Là, toutes les félicités de la terre, et là, la mort, l’enfer, etc. »
  2. I, sc. v, p. 134.
  3. Ruy Blas, I, sc. iii, p. 104.