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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/225

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DRAMES TRAGIQUES.

morales Corneille a déployé pour amener cette femme sensible et raisonnable à l’admirable révolte de son cœur déchiré, de son corps méprisé. C’est un tissu serré des plus intimes sentiments féminins, une science des teintes dégradées et des nuances les plus secrètes, pour mettre enfin le couplet le plus audacieux et vrai sur les lèvres de la plus honnête épouse :

C’est donc là le dégoût qu’apporte l’hyménée ?
Je te suis odieuse après m’être donnée[1] !

La lutte de Pauline est toute en dedans. L’héroïne pourrait dire ce couplet sans un mouvement, sans un geste : l’expression du sentiment ne saurait que gagner à la sobriété de la mimique. Or écoutez Bérengère :

Peut-il, quelle que soit sa puissance suprême,
Faire que votre voix ne m’ait pas dit : « Je t’aime ! »
Et que de cette voix l’accent encor vainqeur
Ne soit en ce moment tout vivant dans mon cœur ?
Pour me faire oublier ce son, cette parole,
Je sais bien, s’il le veut, qu’il peut me rendre folle,
M’ôter le souvenir ; mais il ne peut, je crois,
Empêcher que ces mots n’aient été dits cent fois.
Rappelez-vous ces mots, Charles, je vous supplie…
Voyez : à vos genoux, je pleure et m’humilie…

Oh ! ne détournez pas de moi votre regard.
 
Pour chercher la pitié dans votre cœur de pierre.

J’ai d’abord à mon aide appelé la prière ;
Bientôt vous avez vu l’excès de mes douleurs
Eclater en sanglots et se répandre en pleurs ;
Puis enfin, je me suis, la tête échevelée.

Jetée à vos genoux, et je m’y suis roulée.
Que voulez-vous encor[2] ?

Rien de plus. La forme classique du vers, les réminiscences de Corneille et de Racine ne font qu’accuser

  1. Polyeucte, IV, sc. iii.
  2. Charles VII, IV, sc. vi, p. 297.