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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/355

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ANTONY.

où tout lui est ouvert. Faites sauter le masque : l’homme paraît, le canon du type moderne. Didier est rêveur et chante la romance ; cette inertie poétique n’est pas le fait d’Antony. Il entre dans son époque, botté, la cravache en main, et résolu à tourner au profit de ses exigences, qui ne sont pas modestes, les plus immédiates conséquences des « grands principes ».

Il est fils de la Révolution, c’est-à-dire d’on ne sait pas qui, du hasard. De cette naissance obscure il souffre dans son orgueil d’individu lésé[1]. Il sent (il le croit du moins) qu’il y a en lui l’étoffe d’un personnage. Richard Darlington ne se refroidira point sur ce sentiment ; et Halifax aura la même intrépidité d’opinion, reprenant à son compte les paroles du barbier-tribun[2]. Antony supporte mal son anonymat ; plus passionné que sensible, et plus orgueilleux que passionné, s’il recherche sa mère, c’est pour se faire un état civil, et parce que cette énigme originelle le gêne pour parvenir. Déjà percent quelques ridicules de parvenu : faute de pouvoir étonner le monde par sa naissance, il a recours à la singularité du costume[3] ;

  1. Il admire en lui-même le mot d’Hamlet : « Il vaudrait mieux que ma mère ne m’eût pas mis au monde ». Hamlet, III. sc. i, p. 247. Mais il commente aussi la philosophie de Figaro : « … Il est probable que j’arriverai comme les autres, après un certain nombre de pas, au terme d’un voyage, dont j’ignore le but, sans avoir deviné si la vie est une plaisanterie bouffonne ou une création sublime »… (Antony, II, sc. iv, p. 181.)
  2. « Quant à la noblesse, c’est autre chose, attendu que, comme je n’ai jamais connu mon père ni ma mère, j’ai autant de chances pour être gentilhomme que pour ne l’être pas. » (Halifax, Th., VIII. — I, sc. vii, p. 31.) Voir tout le reste du rôle, et principalement, I, sc. viii, p. 37.
  3. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxcviii, p. 104 : « Il devait y iivoir, vu l’excentricité du personnage, quelque chose de particulier d ;ins la mise de la cravate, dans la forme du gilet, dans la coupe de l’habit, et dans la taille du pantalon. J’avais, d’ailleurs, donné là-dessus mes idées à Bocage…  »