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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/357

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ANTONY.

Pour avoir lu Rousseau et ses imitateurs allemands ou anglais entre quinze et vingt-cinq ans, ces héros encyclopédiques pensent tout savoir. Ce n’est pas le moins grave danger de leur orgueil. Cette foi en l’omniscience et en leur supériorité intellectuelle aboutit à la misanthropie des déclassés. Antony n’est pas loin de Giboyer[1]. Encore n’apprend-il pas pour le plaisir de comprendre, ou pour celui plus relevé d’être utile aux autres hommes. Il y cherche une arme ; il veut contraindre « les préjugés à céder devant l’éducation[2] » (comme si instruction et éducation étaient une même chose), forcer les portes du monde, pénétrer dans le temple. Cela aussi trahit son parvenu, et dénote un prurit d’aristocratie. Jeune bourgeois, montrez patte blanche : il y a de la fièvre de M. Jourdain dans votre cas. Et vous vous étonnez, courtisant les femmes et convoitant les filles, qu’on vous demande des nouvelles de votre famille ?… Vous vous estimez avantageusement, il est vrai. Cela peut mener loin, surtout quand on y joint quelque autre chose. Mais est-ce assez de penser bien de soi et mal des autres, pour vaincre la fortune ? « Dons naturels, dites-vous, ou sciences acquises, tout s’effaça devant la tache de ma naissance[3]. » Que vous êtes bien le produit de Figaro, quarante ans après le grand branle-bas ! Mais, à votre tour, qu’avez-vous fait pour avoir un nom ?

Etudié ? La belle affaire ! Vous courez les bals, sans

  1. Tout le théâtre va être plein d’hommes de génie : Scribe, Émile Augier, Alexandre Dumas fils nous en montreront de toutes les manières, peintres, chimistes, agronomes, médecins, politiques, fils d’Antony. Voir une Chaîne, un beau Mariage, les Effrontés, le Fils de Giboyer, le Fils naturel, la Question d’argent… sans compter les colonels (Maître Guérin), et les ingénieurs, passim. Voir plus bas Chatterton et Kean, pp. 353 sqq.
  2. Antony, II, sc. v, p. 187.
  3. Ibid.