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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/39

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L’HOMME ET SON ÉPOQUE.

baut[1]. Son voisin de bureau, Lassagne, qui est renseigné sur le mouvement littéraire et théâtral, lui indique avec beaucoup de sens les œuvres propres à mettre quelque suite dans les connaissances de cet esprit enthousiaste et mal débrouillé. Dumas dévore Eschyle, Sophocle, Corneille, Racine, Molière, Gœthe, Schiller, Calderon (celui-ci, avec moins de profit, quoiqu’il le nomme), Schiller surtout et Byron et Walter Scott[2], qu’il cite à chaque pas, et Beaumarchais assurément, dont il ne parle guère. Il faut, certes, consulter ses Mémoires avec précaution. Mais on ne saurait douter qu’il ait fait d’abondantes lectures, la plume à la main, pendant les six années qu’il vécut expéditionnaire. Et, si ce travail aboutit encore à l’éclosion de deux vaudevilles, la Chasse et l’Amour et la Noce et l’Enterrement, celui-ci en collaboration avec Lassagne, hélas ! le même Lassagne qui le nourrissait de la « moelle des lions », comme Hector faisait le petit Astyanax, — j’ai dit qu’il ne s’en faut pas émouvoir, et que Dumas avait la chance de tâter, sans davantage attendre, le vrai public sur un vrai théâtre. De l’éducation dramatique il avait demandé le secret, pendant six années, durant des nuits entières, aux maîtres de la scène, dont il poussait l’étude comme le futur praticien celle du squelette ou de l’écorché. S’il n’alla pas, comme il le pense, « jusqu’au cœur chercher les sources de la vie et le secret de la circulation du sang[3] », longuement il apprit son métier avant d’exercer son génie. C’est une erreur chère à la jeunesse de notre temps que la croyance en la génération spontanée des ouvrages dramatiques, qui font date.

  1. Mes mémoires, t. IV, ch. xciv, p. 78.
  2. Mes mémoires, t. III, ch. lxxix, pp. 215-220, et t. IV, ch. xciii, pp. 79-80. Il nomme ici Cooper, dont l’influence se borne au roman.
  3. Mes mémoires, t. V, ch. cxiii, p. 17.