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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/423

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DUMAS PÈRE ET DUMAS FILS.

intangible des âmes ! Voilà ce qu’il leur fit dire, avec des récits d’Amérique, de Quakers, de Gauchos, de nègres nés dans l’esclavage des plantations ! Et nulle part il n’eut une vue plus juste des contresens des classes dirigeantes.

Au beau milieu de cette vaste pièce chimico-sociale, l’autobiographie de Mrs Noémy Clarkson fait une bosse[1]. Avec son expérience dramatique, Dumas fils s’en était assurément aperçu. Il a tenu à la bosse, malgré son talent, malgré sa science du théâtre ; il a voulu l’américaine, l’étrangère, la case de l’Oncle Tom. Même les passions effrénées ne lui ont point suffi ; il lui faut de plus en plus de l’étrange, du merveilleux. Les monstres s’opposent aux vibrions. C’est l’imagination paternelle lâchée à travers le monde et les laboratoires : Antony, Monte-Cristo, Balsamo. Il avait ses raisons.

À cette heure, il prend les abstractions d’assaut comme, plus jeune, il avait fait la réalité. Il en veut à la fatalité, comme son père, mais à une fatalité quasi scientifique. Le problème de l’hérédité le hantait dans l’Étrangère ; il l’attaque de front dans la Princesse de Bagdad. De cette loi obscure il fait une nécessité nouvelle qu’il dramatise. De là naît une pièce extraordinaire, algébrique et forcenée. Lionnette est née d’un roi et d’une prostituée, tout de même que Richard Darlington a reçu le jour d’une grande dame et d’un bourreau. En elle bouillonne le sang royal, qui se reconnaît au goût du luxe, aux aspirations généreuses, au courage viril. Elle envisage la mort sans trembler. Issue de noble souche, elle monte au faite de la société, épouse un honnête homme, riche et de belle naissance, qui l’aime passionnément, qu’elle aime modérément. C’est l’autre race, celle de sa mère et de sa grand’mère, qui agit sur elle ; l’autre influence héréditaire qui l’incline

  1. L’Étrangère, III, sc. vii, pp. 305-310.