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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/64

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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

Shakespeare est grand, il est incomparable, parce qu’il réunit en soi, poussées jusqu’à l’excellence, deux facultés qui s’associent rarement : l’imagination, la divine imagination, et la vue intérieure des hommes et des choses. Il faut que sa poésie soit prise sur le vif de la nature humaine, et sa fantaisie sans limites, pour que, même à travers les traductions, l’impression en soit si universelle et pénétrante. Il a marié le rêve à la réalité. Il a mêlé le rire aux larmes, sans forcer l’antithèse, tout simplement parce qu’il reflète la vie, presque sans recherche de littérature. Il a peint des types de femmes, et surtout de jeunes filles, les âmes les plus imprécises et insaisissables : Juliette, Ophélia, Cordélia ; et il en a fait de vivantes et transparentes idéalités. Atalide, Iphigénie, Hermione sont aussi vraies, mais d’une vérité plus déterminée, plus scénique, plus limitée. Il semble que l’imagination et l’observation se rejoignent en lui et se confondent comme pour une véritable création.

Car Shakespeare crée des mondes à son gré. L’atmosphère dont il enveloppe chacun de ses drames est lumineuse, et justement la seule vitale, comme par une naturelle adaptation. De sa magique baguette il évoque tour à tour le rêve ou l’histoire, les lutins ou les héros, et à son appel les milieux (mot détestablement scientifique et propre à effaroucher de si rares impressions) se reconstituent à plaisir : l’île fantastique de la Tempête, ou l’île de Chypre hérissée de tours et de créneaux. L’imagination fait l’office d’un impeccable machiniste. Les « changements » s’accomplissent insensiblement ; on passe de la féerie à la vie même sans que jamais le passage cause la moindre peine ou surprise. C’est la plus étroite complicité de la fiction et du vrai.

Il observe, comme il imagine, à fond, et dans l’es-