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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/65

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INFLUENCES ANGLAISES.

pace. Il lui faut du champ. Le même regard aigu qui sonde le cœur d’Othello, embrasse l’humanité tout entière, y distingue les fibres les plus ténues et secrètes, qu’il analyse et recompose à son gré. Le clavier sur lequel il s’exerce est infiniment plus étendu que celui des autres. L’individu, le type, la vie, l’histoire, la nature, il domine tout, il plonge partout. Son esprit pénètre à tous les degrés : il gratte l’écorce, il entame le bois, il perce le cœur même et fouille au plus profond, au centre obscur de la sève et de la vie. Il est caricaturiste, psychologue et devin. Personne n’a créé plus de types, doués d’une existence propre, en dehors de la comédie ou du drame auquel ils appartiennent. Il a étudié la foule complexe et mouvante ; il l’a dessinée à grands traits arrêtés, comme un modèle au repos. La question de savoir si les caractères doivent amener les événements, ou inversement, n’existe pas pour lui. On ne sent chez lui ni la logique ni le déterminisme toujours un peu factices, ni les combinaisons de la scène ; mais on y devine la perception des mobiles les plus délicats et des causes les plus intérieures. Il lit à même le cœur et l’histoire. Et il les interprète pareillement, sans se soucier du détail, par un effort de synthèse philosophique. Il n’est pas d’écrivain qui donne à sentir et à penser davantage. C’est son génie, — au delà du théâtre.

Me sera-t-il permis de parler de Shakespeare en toute liberté ? Soixante et quelques années se sont écoulées, depuis qu’Alfred de Vigny traduisit et adapta Othello. Le mouchoir ni le coussin ne nous scandalisent plus ; nous n’en sommes plus au bégueulisme [1] ; nous en avons vu bien d’autres. Que n’a-t-on pas vu ?

  1. Stendhal, Racine et Shakespeare, partie II, lettre iii, p. 176, et partie I, ch. vi, p. 56.