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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/71

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INFLUENCES ANGLAISES.

ses pièces eût peut-être diminué, mais non pas la netteté ni la qualité. Cette imagination créatrice, cette pensée indépendante, a consenti au public de plus dures concessions qu’elle n’en eût fait à un art, même sévère. C’est, bien entendu, le contraire de cet art qui apparut à Dumas, c’est le chaos de la Bible, sur lequel « flottait l’esprit du Seigneur[1] », qui lui sembla le libre génie de cet homme unique.

Il n’a guère compris Shakespeare ; seulement, il s’est découvert en lui. De cette intuition profonde et subtile, de cette vision des dessous de l’humanité, de l’histoire, de la vie il s’avise peu, comme Victor Hugo, ni plus ni moins. Il sent Shakespeare, il le voit à travers son tempérament. Imagination frénétique, ardeur des sens, violence innée de tous les appétits, fantaisie forcenée, don des idées-images, soif d’action que ni le paganisme ni la Renaissance n’ont étanchée : l’œuvre du dramaturge anglais est une fournaise où brûlent et s’agitent toutes ces fièvres ; et Dumas les devine en soi, aussi agitées , aussi brûlantes, à la notion près du paganisme et de la Renaissance. S’il s’empêtre parfois dans le pathos de la liberté de l’art, c’est affaire de mode et pour fâcher les classicistes. Il se réjouit d’abord de l’énergie physique et du mouvement passionné qui animent tous ces personnages « en chair et en os[2] ». Peuple, il ne conçoit la vie que déchaînée. Le paroxysme le ravit. Il admire « l’âme », mais il ressent à fond tous les tourments de la « bête humaine[3] ». On trouve, écrira-t-il plus tard, « dans les drames de Shakespeare les impressions extrêmes qui agitaient alors la société : folles joies et larmes amères, Falstaff le bouffon et

  1. Mes mémoires, t. IV, ch. cix, p. 280
  2. Théâtre, t. I, p. 15.
  3. Préface de Cromwell, p. 31.