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Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/91

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INFLUENCES ANGLAISES.

être averti, avec ce front ténébreux, ces yeux perdus, et ce teint blême ? Ce n’est ni Werther, ni René, ni Manfred, mais notre demi-nègre, Alexandre fils d’Alexandre, le vigoureux rejeton du Diable noir. Mais cet air désespéré qui assombrit cette bonne face sensuelle ? Voilà justement le masque, le masque de Byron, démoniaque, titanesque, satanique. Rions-en, je vous prie, comme il s’en amusait lui-même, quelques années après : « Ce masque devait tomber peu à peu, et laisser mon visage à découvert dans les Impressions de voyage. Mais, je le répète, en 1832, je posais encore pour Manfred et Childe Harold[1]. » — À la pâleur près : mademoiselle Mars n’osait être pâle ; Dumas ne pouvait. Il n’a jamais réussi à souffrir de la poitrine, bien qu’il s’y soit exercé. Sa fatale santé était exempte du moindre malaise[2]. Fâcheuse posture pour avoir l’âme désolée, perverse, ou d’un dandy. Au fond du dandysme, il y a souvent de la migraine ou pis. Le malheureux digère vaillamment ; il est plein d’une vigueur désolante ! Du corsaire il possède l’encolure : mais il est employé de bureau.

Et pourtant, Byron s’impose à la mode littéraire ; il faut le goûter, et en avoir l’air. Byron exprime à sa façon et dans sa sphère l’esprit de révolte que souffla parfois Shakespeare et la misanthropie qu’exhala Rousseau. Byron est doué du génie d’aventures ; il y a dans sa poésie et sa vie de l’énigme, de l’incompris, du merveilleux, de la légende. Il est à la fois « Prométhée et Napoléon[3] ». Le Giaour complète René et Werther. Que la popularité de Byron soit un signe de l’intelligence profonde que le public français d’alors en a pu avoir, je n’oserais l’affirmer. Il symbolise à ce moment,

  1. Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxxii, p. 133
  2. Voir ci-après, p. 300, note 1.
  3. Mes mémoires, t. IV, ch. xciv, p. 82.