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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/103

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LES MONNERON

dans les feuilles quelque bon article dans sa note, par un de nos vertueux fondsecrétiers, ou simplement s’il a ouvert un de ses bouquins grecs… Passe-moi ma redingote et donne-moi le portrait. Hein ! Comment trouves-tu ma bonne amie ?… »

Jean rendit à son frère la photographie, qu’il avait prise et regardée pendant ce discours. Elle représentait, en effet, une très belle personne, toute jeune encore, assise sur le bras d’un canapé, de manière à bien faire ressortir la ligne opulente de la chute des reins et de la croupe. La robe, en mousseline de soie pailletée, se décolletait juste assez pour découvrir la naissance de l’épaule et la gorge, où se tordait un collier de grosses perles. La tête était charmante, quoique déjà marquée de vice. Les yeux se tournaient de côté avec un regard de ruse et de coquetterie, et, autour du front, floconnait un délicieux envolement de cheveux que l’on devinait d’un blond doux et pâle, presque cendré. Que la créature fût une femme entretenue, tout le révélait, le jeu des prunelles, le sourire impur, le luxe souligné de la toilette. Dans quelles conditions un amant, de ressources aussi maigres que celles dont jouissait le fils du professeur, pouvait-il être lié avec cette fille ? Jean n’osa ni se le demander, ni le demander à son frère. Il eut seulement, une fois de plus, cette appréhension angoissée, un de ses supplices, sur l’avenir de ce beau garçon, lequel le regardait maintenant avec des yeux d’une impudence et d’une fatuité singulières.