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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/102

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L’ÉTAPE

rendez-vous, à une heure et demie, et je vais être en retard. Tu comprendras que j’aime mieux aller la retrouver que de discuter avec papa sur des blagues comme les Droits de l’Homme et le suffrage universel, qui m’indiffèrent. Ce qui m’agace, c’est quand j’entends ce brave homme qui aura travaillé comme un cheval pour ne pas nous laisser un fifrelin, se féliciter d’avoir été la dupe de boniments électoraux, quarante ans de sa vie. Regarde-moi Barantin ! À la bonne heure. Que celui-là célèbre la République, le progrès, les classes ouvrières, toute la guitare ! Ça lui profite au moins. Il était petit professeur, comme le père, avec la perspective d’une jolie retraite de deux mille francs après s’être éreinté le tempérament à des vingt-cinq heures de cours et de répétitions par semaine, plus la correction des copies. Il a un hôtel à Passy, une voiture au mois. Il a des maîtresses. Il y a bien l’histoire d’un certain chèque, qui n’est pas reluisante. Mais il a bénéficié d’un non-lieu, et tu sais comme papa s’indigne quand on se permet une allusion à cette calomnie de la presse immonde !… Je ne m’en plains pas d’ailleurs. Si Barantin n’était pas bien avec la haute finance, je ne serais pas chez Nortier. Au moins faut-il savoir tout cela ! Sois tranquille. Je ne recommencerai pas. Je ne dîne pas ce soir. Mais demain, dès le premier déjeuner, je lui sers un abatage des Jésuites. Je mange du prêtre comme si c’étaient des truffes… D’ailleurs, papa fume sa pipe et n’y pense déjà plus, s’il a trouvé