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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/119

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

pas s’y associer ? Et le délicieux fantôme de Brigitte s’évoquait pour l’amoureux, dans un mirage d’une douceur inaccessible et désespérante. Que n’avait-il été élevé comme elle, parmi les mêmes croyances ! Alors ce projet de fonder un foyer avec la pure enfant, ce songe idéal, auquel il s’était tant réchauffé le cœur à l’avance, n’aurait pas été une chimère ! Il n’aurait pas eu à rompre avec toute l’éducation de sa jeunesse pour établir les conditions heureuses de son âge mûr, — à renier son père et les amis de cette jeunesse dans la création de sa nouvelle famille !… Cependant, avec le crépuscule de ce triste jour, un brouillard acre s’abattait sur la ville. Les becs de gaz enfin allumés plaquaient dans l’atmosphère jaunâtre des taches brutales de lumières. Les façades des maisons s’éclairaient, les unes après les autres, par places inégales. Aux rez-de-chaussée, les boutiques des marchands de vins, des charcutiers et des rôtisseurs commençaient de ronfler et de flamboyer. La vitalité du faubourg devenait plus grossière, et, par contraste, plus douloureuse encore la détresse du jeune homme, — si douloureuse qu’à un moment, il ne put réellement plus supporter ce tête-à-tête avec sa mélancolie. C’est alors que, cherchant instinctivement dans sa pensée où aller pour n’être plus seul, et ne voulant pas rentrer a la maison, il se rappela tout d’un coup le rendez-vous du soir à l’Union Tolstoï.