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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/120

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L’ÉTAPE

— « C’est pour huit heures et demie, » se dit-il en consultant sa montre, « il en est sept. Si Crémieu-Dax pouvait dîner à son restaurant ?… De causer avec lui me ferait du bien… »

Le souvenir de cet ami, avec lequel il avait pourtant des relations difficiles, ne se fut pas plutôt présenté à lui, qu’il cessa d’errer de ce pas incertain et vague qui avait été le sien tout cet après-midi, et il s’achemina d’une démarche vive et directe, par l’avenue de Choisy, où il se trouvait alors, puis le boulevard d’Italie, vers le tronçon de la rue du Faubourg-Saint-Jacques, pris entre la rue de la Tombe-Issoire et la rue Humboldt : c’était là qu’il avait quelque chance de rencontrer l’autre. L’héritier futur des millions gagnés dans les mines de l’Afrique du Sud par le vieux Crémieu-Dax désertait sans cesse l’hôtel somptueux et la table princière de l’avenue Hoche, que lui reprochait et lui enviait Antoine, pour venir dîner à vingt sous, dans le local que Jean appelait très justement « son restaurant », et qui n’était autre que la fondation de tempérance dont j’ai parlé. C’était Crémieu-Dax, en effet, qui avait installé ce « bouillon » populaire, en constituant, pour l’exploiter, une société de mille actions à vingt-cinq francs. Il en avait souscrit huit cents à lui tout seul, cent avaient été prises par Rumesnil, et les autres par les membres les plus fortunés de l’Union Tolstoï. Jean avait détourné cent francs de son maigre budget pour en prendre quatre. C’était