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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/123

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

qui l’avaient tour à tour attiré, sans qu’il put s’identifier complètement ni à l’une ni à l’autre. Il l’avait dit lui-même à M. Ferrand, avec cette lucidité inefficace qui faisait de lui, autant que ses hésitations intérieures, un exemplaire trop complet d’un jeune homme de notre époque : l’instinct avait beau s’unir chez lui au raisonnement, et l’expérience publique à l’expérience privée pour lui démontrer que, depuis 1789, la France ressemble à un homme qui recommencerait indéfiniment une addition par deux et deux font cinq, et rencontrerait toujours un total faux, il continuait à subir un invincible attrait pour ce qu’il faut bien appeler, si contradictoires que paraissent ces termes quand on a une fois compris la pauvreté des théories politiques propagées sous cette magique étiquette, la poésie de la Révolution. Cette poésie existe pourtant, elle explique seule comment tant de frémissantes sensibilités, et si généreuses, s’y sont laissé, s’y laissent encore séduire. Elle réside dans un état lyrique de la pensée, qui n’admet pas que des idées puissent avoir tort devant des faits, et dans un état héroïque de la volonté, qui s’élance hors du pacte social, pour essayer de réaliser, à tout prix, cet accord de l’idée et du fait. Jean savait depuis longtemps déjà, pour en avoir constaté autour de lui les funestes contre-coups, combien est meurtrier, à l’ensemble d’un pays et à chacun des petits groupes qui le composent, ce lyrisme invérifié de l’esprit, et cet héroïsme déréglé de la