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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/124

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L’ÉTAPE

volonté. Le sachant, il ne pouvait se déprendre du mirage. Il éprouvait, malgré lui, ce besoin d’exaltation autour des problèmes sociaux, dont il rencontrait dans Crémieu-Dax un représentant bien remarquable. L’initiateur de l’Union Tolstoï appartenait à la lignée des Juifs passionnément idéalistes, — notre époque en a vu surgir quelques-uns, Joseph Salvador et l’éloquent James Darmesteter entre autres, pour n’en citer que deux, mais si caractéristiques, — en qui revit l’ardeur des prophètes dont s’enorgueillit Israël. Ainsi que la finale de son nom l’indique, Salomon Crémieu-Dax descendait d’une famille établie dans le Midi de la France. Comme la plupart de ses coreligionnaires de la même région, il remontait à ces Marranes chassés d’Espagne, à la fin du quinzième siècle, par Ferdinand le Catholique. Il avait, des Juifs de la Péninsule ibérique, le masque aigu, les membres déliés, les os minces et ces profonds yeux noirs où brûle encore la flamme du soleil oriental. Il en avait aussi, portées à un haut degré, les qualités maîtresses, celles qui ont assuré à cette race d’exception une invincible persistance parmi tant de désastres : une intelligence souple et agile, une rare facilité d’assimilation, une incroyable puissance de travail, et cette combinaison singulière d’enthousiasme et de patience, de frénésie et de calcul, qui se reconnaît déjà dans certaines figures typiques de la Bible. Après avoir été au collège un des plus brillants élèves de sa génération, Salomon Crémieu-Dax était