Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
L’ÉTAPE

Il s’était levé à la fin de ce discours, sous le prétexte d’aller à son tour porter son assiette vide au guichet de la cuisine, en réalité, pour couper leur entretien. À toutes sortes de menus indices il avait deviné que son ami se déplaisait dans la société qu’il avait fondée et qui était toute sa vie. Il avait craint sa démission. Il l’avait obligée à se prononcer. Jean restait membre de l’Union Tolstoï et un membre actif, puisqu’il s’intéressait à la conférence Chanut. C’était une donnée positive et à laquelle Crémieu-Dax se tenait, avec ce sens aigu du fait, hérité de l’homme d’affaires, son père, et mis au service, par un saisissant contraste, du millénarisme le plus insensé. Jean connaissait ce tour particulier de cet esprit, et il était sûr que, fidèle à ce grand principe du génie pratique admirablement formulé par l’adage latin : quieta non movere, son camarade n’aborderait plus, dans le reste de leur conversation, les points inutiles à traiter immédiatement. Mais il avait eu aussi la preuve que le travail de sa pensée n’échappait pas à la surveillance jalouse que l’autre exerçait sur ses collaborateurs, en particulier sur celui auquel il tenait le plus. Jean ne lui en avait-il pas d’ailleurs donné le droit en s’associant à cette œuvre dont l’initiateur parlait avec une conviction si entière, au lieu que le fils de Joseph Monneron s’y était prêté, on le sait déjà, sans y donner le fond de son cœur, comme à une expérience de philanthropie qui prolongeait l’accord appa-