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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/135

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

rent avec son père ? Il avait été incertain et faible, de cette faiblesse qu’il souffrait tant de constater en lui, parce qu’elle n’était pas un accident ; c’était une façon d’être, et qui tenait à des causes si profondes, si mêlées à la formation même de sa nature. Une fois de plus il se sentit la victime de cette incapacité de s’affirmer nettement, virilement, dans une personnalité simple et tranchée. Il était l’arbre qui se courbe aux vents parce qu’il a trop peu de terre autour de ses racines. Dans ses rapports avec l’U. T. comme dans toutes les autres circonstances, c’était le manque d’un vrai milieu de mœurs qui lui interdisait la fixité de caractère, et il regardait Crémieu-Dax, assis de nouveau en face de lui, lui donner le spectacle d’un homme, conséquent avec ses idées parce qu’il l’est avec son origine, énergique parce qu’il est un, et qu’il sait vraiment ce qu’il veut. Ses yeux de flamme, gais maintenant, riaient dans sa face d’Arabe, pour un bien humble motif, certes, mais rien n’est humble, au regard d’un vrai partisan, de ce qui sert à son parti :

— « J’avais demandé du chou-fleur en salade. C’était marqué sur le menu. Il n’y en a plus. On fait toujours quarante portions de chaque plat. Il est huit heures seulement. C’est donc la preuve que, depuis six heures, où nous ouvrons, nous avons servi au moins quarante dîners. En août, tu te rappelles, nous en avions quinze. Vingt-cinq de gagnés en trois mois, comme ça monte ! Et puis,