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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/150

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L’ÉTAPE

caractère si renseigné de ces choix, mais aussi l’erreur initiale de l’œuvre tentée là. Pour comprendre vraiment et sentir les génies contradictoires dont les visions juxtaposées se battaient sur ces murs, il fallait un degré de culture inconciliable avec la servitude quotidienne d’un humble métier. C’était de quoi fausser, jusqu’à l’ahurissement, des intelligences qu’il eût convenu d’initier à de la beauté simplement technique, et, ce qui achevait de démontrer la déraison d’un tel musée placé dans un tel endroit, c’était le soin qu’avait pris l’organisateur de corriger, d’après Morelli et les maîtres de la critique nouvelle, les attributions imprimées au-dessous de quelques-unes de ces photographies. Ainsi, au bas de la reproduction du portrait de Lucrezia Crivelli, qui est au Louvre, il avait biffé le nom de Léonard et, à la place, écrit de sa ferme écriture : « Bernardino de Conti, » De même, au-dessous du profil de femme de l’Ambrosienne, il avait substitué à Isabelle d’Aragon, Bianca Maria Sforza, et à Vinci, Ambrogio de Prédis. Il ne se contentait pas de présenter à des illettrés une suite d’images qui ne pouvaient que faire chaos dans ces ignorances, il leur enseignait déjà à en discuter l’origine. La même erreur, impossible à corriger, parce qu’elle était au principe même de cette tentative antiphysique, si l’on peut dire, pour démocratiser les deux aristocraties essentielles : l’Art et la Science, se retrouvait dans les programmes de conférences affichés sur les murs, à côté de ces photographies.