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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/152

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L’ÉTAPE

sanglant désordre dans les actes. Le nom de « M. Monneron, étudiant à la Sorbonne, » figurait parmi ceux de ces conférenciers. Jean avait parlé, pour la dernière fois, sur la Morale stoïcienne, sujet qui lui était cher. À force d’avoir creusé jusqu’en leur fond les Pensées de Marc-Aurèle, il avait fini par y découvrir ce qui s’y trouve, comme dans Gœthe, comme dans tous les génies vraiment cosmiques : une voie de conciliation entre les idées de pur rationalisme d’où il était parti, et les croyances vers lesquelles il marchait. La résignation des stoïciens dit à l’Univers : « Si tu n’es pas l’œuvre des dieux, je t’accepte parce qu’il est vain de lutter contre toi, et, si tu es l’œuvre des dieux, je t’accepte parce que tu es l’ordre. » Que fait le christianisme, que de prendre l’âme à ce point de soumission et d’ajouter : « Il y a un esprit derrière cet ordre, et qui répond à la bonne volonté par l’amour ? » Hélas ! ce qu’il sentait avec tant de force, le jeune homme n’avait pu le communiquer à son auditoire d’illettrés, incapables de suivre le fil d’une dialectique et surtout de comprendre une position de problème impartiale. Sa leçon avait consisté en anecdotes de manuel et en un exposé élémentaire d’un système dont la psychologie est trop spéciale pour que l’analyser ainsi ne fût pas la mutiler. Il s’était plaint de ces déplorables conditions à Crémieu-Dax, qui lui avait répondu par une de ces formules millénaristes qu’il jetait entre lui et les plus indiscutables réa-