Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
L’ÉTAPE

Ils avaient passé dans la bibliothèque, tout en causant, et Monneron désignait des yeux à Rumesnil la victime du détestable sarcasme de Riouffol, en train d’endoctriner un des habitués de l’U. T., un ouvrier déjà d’un certain âge. Cet homme demandait une explication en montrant un passage d’un livre qu’il était occupé à lire. Crémieu-Dax, assis à côté de lui, l’écoutait avec une attention profonde. Riouffol, à quelques pas, froissait de sa main crispée un journal, où il faisait semblant de s’absorber ; mais le regard qu’il jetait par-dessous, vers le groupe, révélait une lutte intérieure. Regrettait-il son incroyable outrage à un compagnon de luttes, — et quel compagnon ! — et reculait-il devant l’expression de ce regret, par orgueil, lui aussi ? Voulait-il, au contraire, prouver qu’il acceptait les conséquences de son attitude et qu’il était prêt à toutes les explications ? Soudain il s’aperçut que Rumesnil et Monneron l’observaient. Il posa le journal sur la table, et les dévisagea lui-même bien en face, pour les défier. Puis il s’achemina lentement vers la porte, qui, de la bibliothèque, donnait sur la salle des conférences. Crémieu-Dax ne parut pas plus remarquer cette sortie que tout à l’heure cette présence. Sa physionomie exprimait une telle amertume dans la tension de toute sa volonté que Jean ne put pas supporter de voir Riouffol s’en aller ainsi sans avoir été châtié. Il ne prit pas le temps de serrer la main de ses camarades, et il s’élança d’un bond dans la même direc-