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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/188

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L’ÉTAPE

presque pardon de leur propre culture, vers qui leurs cœurs étaient allés si généreusement, si sincèrement ! Et puis ils n’avaient fait, en les fréquentant, qu’exaspérer cette sensation de leurs inégalités réciproques. « Le plus sûr moyen de rapprocher les hommes n’est pas de les réunir. » Cette phrase, que M. Ferrand avait prononcée un jour à propos des Universités Populaires, traversa la mémoire de son élève. Il entendit la voix du sage qui lui avait, sur ce point comme sur les autres, éclairé la vie sociale d’une telle lumière. Il le revit lui-même, et, auprès de lui, un autre visage. Là était la vérité, là était le bonheur… Au lieu de cela, quelle misère que sa vie présente et que de points noirs à son horizon ! Il se remit mentalement à les dénombrer tous avec un tel hypnotisme, devant de si cruelles possibilités, qu’il ne s’aperçut pas du chemin qu’il avait fait, et il se trouva devant la maison de la rue Claude-Bernard, sans presque s’en être rendu compte. De cette même allure de somnambule il gravit les cinq étages. Il demeura étonné, sitôt qu’il eut glissé dans la serrure la clef qu’il avait eu soin d’emporter pour le soir, d’entendre un pas qui s’approchait. Il crut reconnaître la démarche de son père. Quand il eut ouvert en effet, il vit Joseph Monneron là, debout, une lampe à la main, comme quelqu’un qui a prêté l’oreille au moindre bruit de sa maison et qui est accouru, en proie à la fièvre d’une mortelle attente. La physionomie usée du professeur trahissait une telle anxiété, son trouble,